Une chose de la vie
Je lui ai demandé si elle l’avait vraiment aimé. Je ne
l’avais jamais su puisqu’elle avait effacé ce sentiment avant que je le sente,
avant que mes yeux comprennent et que mes mains se tendent, avant que mes bras
se souviennent de deux, puisque je ne les ai jamais vus marcher ensemble ou
l’un contre l’autre et que tout était fini bien avant toute semence de
souvenir, puisque je suis née par inadvertance racine incertaine dans un désir
assouvi une nuit de mois d’août que je veux aujourd’hui encore pour moi peindre
chaude et claire. C’est à elle que je l’ai demandé car je sais que lui n’a
jamais cessé de l’aimer, qu’il a longtemps espéré son retour, et que nous
sommes ce qui lui reste d’elle : ses lettres qu’il a gardées retenant
captif au cœur des mots un amour ainsi éternel que la vie ne pourra plus
altérer, et moi qui en suis pour lui malgré tout le lien indéfectible, la
preuve mise au monde de ce qui a été, charnelle et intangible.
Marie