Rétrospective
"Les enfants, c'est pas l'tout d'les faire, c'est
d'les élever!", un des adages favoris de mamie qui aimait à me le répéter
à bon escient. Mais quand on veut t'en faire partager la sagesse, à toi la tête
de linotte dans l'insolence de tes quinze ans, tu regardes sans comprendre, te
dis que la mamie radote et tournes le dos avec un haussement d'épaules. Et puis
le temps passe et un beau jour te voilà maman d'un beau babichon qui met tes
jours et surtout tes nuits précieuses au parfum de ses appétits goulus, de ses
couches culottes odorantes et de ses cris de protestation quand tu essayes
délicatement de le recoucher dans son berceau. Et alors là, tu te mets à y
penser de temps en temps à l'adage de mamie, sans te douter que pour l'heure tu
ne fais qu'entrevoir vaguement ce qu'elle pouvait bien vouloir dire. Quinze ans
de combat avec mon fiston pour en faire un homme à peu près civilisé qui sache
se tenir en société, quinze ans de bataille pour lui imposer et lui faire
reconnaître comme siennes ces frontières indispensables à une vie en famille
basée sur le respect mutuel, quinze ans de lutte contre sa paresse et son refus
de toute contrainte, sa force d'inertie plus inébranlable que l'obélisque de la
Concorde, quinze ans de soucis petits et gros, de doute en ses propres
capacités, de sentiment d'échec dont on cherche en vain le pourquoi, le quand,
le comment encore et toujours... Des larmes de dépit et de colère face à cette
foutue impuissance, parce qu'élever un enfant, c'est parfois si difficile, et
qu'avec tant d'amour cela demande pas mal de renoncements, beaucoup de
discipline, de maîtrise de soi, d'exigence... Mamie, j'y ai mis le temps mais
j'ai fini par comprendre, et je te demande pardon pour le haussement d'épaules,
tu avais raison...