Ma pendule à l'huile d'olive
J'avoue que j'adore aller très souvent faire un grand
petit tour sur ebay, ce lieu de perdition, wild side pour les paniers percés et
les bourses plates comme des galettes bretonnes, pour moi quoi... Pire que les
Galeries Lafayette à Noel, les illuminations en moins mais le choix en plus, on
trouve toujours quelque chose, et insidueusement on en devient complètement
addict, happé irréversiblement par l'hydre toute puissante de la consommation
inflationniste.
Mais laissons là ces considérations moroses - ebay c'est
chouette! La preuve, c'est qu’il y a quelques temps de cela, j'y ai retrouvé ma
pendule à l'huile d'olive. Cette pendule, une très belle pendule napoléon III
en marbre noir, sonnait les heures et la demie. Posée sur la console de
cheminée au pied de mon lit, elle a été la compagne de mes nuits d'enfant sans
sommeil pendant tout le temps que j'ai passé chez mémé, qui me couvait comme
son plus cher trésor. Il faut dire que mémé, qui avait fait deux garçons, puis
était devenue grand-mère de deux petits-fils, avait toujours rêvé d'avoir une
fille. Alors à la lecture du télégramme annonçant ma naissance, son coeur avait
fait des triples sauts de joie en perspective des beaux jours à venir qu'elle
passerait à me dorloter, à me transmettre son savoir, à se raconter
jeune-fille, à évoquer pour moi Suez et l'Indochine. Elle avait raison, car
nous étions faites l'une pour l'autre, et ces vingt-deux ans de complicité sont
comme un ciel constellé d'étoiles que je contemple encore et toujours les yeux
brillants.
A la mort de mémé, mon père a hérité de cette pendule
qu'il a chez lui. Un de mes nombreux passages ebayesques me l'a rendue. Enfin,
sa jumelle. Quelle surprise lorsque par hasard je l'ai eue sous les yeux! Ma
pendule... S'est mis à flotter dans l'air ce parfum d'huile d'olive chaude qui
embaumait la maison de mémé quand elle me faisait mon pan bagna, délice des
délices, ambroisie de petite fille tant aimée... Je ne pouvais pas la laisser
m'échapper, sa place était ici chez moi. Je me suis saignée à blanc, mais
depuis elle rythme à nouveau ma vie, comme si elle n'avait jamais arrêté de le
faire.
Certains objets sont ces ponts essentiels à notre
existence, entre nous et nous-mêmes, entre nous et ceux qui nous ont été si
chers, ils emmènent pour un temps remonter le temps.
PS : je viens tout juste de succomber une nouvelle
fois : une œuvre de jeunesse du peintre Jacques Courtens, une petite huile
sur panneau datant de ses années à Paris, elle a tant de charme…